Dojo & étiquette

LE DOJO

Le lieu où l’on pratique est donc un lieu privilégié. Il serait regrettable de considérer cet endroit juste comme une salle d’entraînement où l’on vient transpirer car, en fait, ce n’est pas un endroit ordinaire : c’est là, qu’au travers d’un enseignement – (que maître ou moniteur auront à cœur de rendre aussi riche que possible) – on se trouvera amené, par le travail commun, à trouver ensemble une harmonie intérieure qui fera progresser chacun.

Dans un DOJO, on accepte (la difficulté d’un art déconcertant), on élimine (les tensions, tout ce qui bloque, gêne), on purifie (le geste, le souffle, l’esprit, on progresse sur la Voie que l’on a voulu suivre, puisqu’on a fait le premier pas : S’y engager.

Et le chemin que l’on doit parcourir, seul dans son cœur mais avec l’aide des autres, toujours présents physiquement, est un chemin difficile, sans fin, qui impose le respect d’une certaine tenue de tout l’être si l’on veut aller loin sur cette Voie : on ne marche pas au long de la grande allée d’un édifice vénérable de la même manière que dans une rue ordinaire.

Respect profond ne signifie pas que l’on « déifie l’art », mais que l’on s’incline devant la recherche de ceux qui nous ont précédé, que l’on salue, dans le professeur, comme dans les camarades pratiquants, la même recherche que celle que l’on poursuit soi-même.

On appelle DOJO, chez les Bouddhistes, le lieu où l’on se livrait à l’étude des textes sacrés, à la méditation. Les BUSHI (guerriers) qui vinrent apprendre auprès des moines ZEN, le détachement de la vie, selon les exigences du BUSHIDO (code d’honneur définissant la Voie du Guerrier), étendirent l’usage du terme aux salles où ils s’entraînaient aux BUJUTSU. Actuellement, on pratique dans les DOJO, les arts martiaux anciens dans leurs formes modernes.

Mais le côté traditionnel du cérémonial conservé lors des cours et entraînements répond à plusieurs motivations : conserver l’esprit donné par les fondateurs, mais aussi donner à une recherche foncièrement individuelle, un cadre qui permette de se situer lors de rencontres avec des pratiquants étrangers.

Indépendamment de la technique, il convient de conserver les points de repère, le code qui est un gage d’unité, de rigueur commune au sein d’une Discipline qui s’étend à travers le monde entier.

Le sentiment de continuité enrichit l’étude de la Voie ; le DOJO est la base matérielle, concrète de la Transmission, l’attitude que l’on y adopte est l’image de la considération portée au DO.

Nous ne nous étendrons pas sur l’aspect du DOJO. Mais il est bon de rappeler que chaque emplacement a sa finalité, même si l’on doit parfois prendre des accommodements.

Orné d’un autel shinto ou d’un petit Bouddha, le KAMIZA ( « où s’assoient les KAMI, divinités familières ») se trouvait traditionnellement au levant, côté sacré où régnait la déesse du Soleil. Les DOJO étaient donc orientés vers l’Est. Les impératifs de l’urbanisation européenne ne permettent pas toujours de respecter cette orientation, mais on a gardé le principe d’un « mur d’honneur » généralement signalé par calligraphie, ou le portrait d’O Senseï, devant lequel se place l’enseignant.

Théoriquement, l’entrée se trouve en face, à l’Ouest, côté du SHIMOZA, où s’installent les élèves. On a pu attribuer à cette disposition un sens pratique : éviter la différence de luminosité Nord/Sud, lors des mouvements pendant l’entraînement au combat. En effet, toute l’étiquette se réfère au sabre, aux arts guerriers originels. Par exemple, les élèves les plus gradés occuperont, à droite en entrant, une place qui, compte tenu qu’il serait plus difficile au maître de dégainer pour se défendre sur la gauche que sur la droite, témoigne de la confiance qu’on leur accorde, alors que les nouveaux seraient plus aisément contrôlés en cas d’attaque surprise.

Chez les Japonais, le SHINTO avait, par son panthéisme, amené une attitude de respect envers ce qui les entourait, une religiosité qui nous apparaît peut- être proche de la superstition dans ses manifestations quotidiennes. Quoiqu’il en soit, ce respect pointilleux d’un rituel semble atteindre, en ce qui nous concerne, son point culminant dans la pratique des arts martiaux ; nous avons gardé une tradition – même s’il ne s’agit pas de nos dieux, nous honorons quelque chose d’universel. Le Bouddhisme amène, à travers le respect d’un formalisme à le transcender.

Le Confucianisme, lui, a apporté avec la nation d’interdépendance de tous les Hommes, le sens profond de la hiérarchie, de la dignité de soi et de l’humanité envers autrui.

Sous une forme méticuleuse et surannée, le cérémonial permet d’honorer des valeurs humaines dont la pérennité n’est pas en doute ; l’accepter, c’est reconnaître que le DOJO est un lieu « autre », que la recherche qui s’y accomplit, dépasse la dimension du geste, de l’individu, des lieux.

On peut se prêter au rituel par conviction, mais on doit s’y prêter par courtoisie envers les autres pratiquants, pour qui il peut avoir une signification que l’on n’a pas découverte soi-même.

L’ETIQUETTE AU DOJO 

Pour enseignants et pratiquants occidentaux, il n’est pas forcément question de considérer l’art martial comme une « religion », mais il est indéniable que le lieu où l’on pratique est l’objet d’un ensemble de gestes, d’attitudes codifiées que l’on peut appeler rites et qui lui confèrent une atmosphère très significative.

Le rituel nous vient directement des traditions japonaises.

Il est indissociable de la notion de DOJO et ses manifestations ont toutes une raison d’être ancrées dans une civilisation différente, un art de vivre lointain dans le temps et l’espace.

Le rejeter, c’est ramener l’art martial au rang de sport, de simple activité physique, dénuée de contexte culturel, sans portée spirituelle, philosophique, mentale ; c’est abandonner le DO (le chemin de la recherche supérieure) pour ne s’intéresser qu’aux WAZA (techniques) constituant le BUJUTSU.

Nous cherchons plus loin, nous visons plus haut : à travers la technique c’est une Voie de réalisation de l’Homme que l’on suit.

L’ETIQUETTE PENDANT LES COURS

Lorsque l’on aborde le TATAMI, on laisse ses ZOORI (sandales) à l’extérieur, posées de façon à pouvoir les enfiler rapidement en descendant, puis on se tourne vers le KAMIZA et on s’incline profondément : on salue le DOJO – C’est le symbole du passage de la vie ordinaire à un « travail » dans une ambiance différente.

Si le professeur (ou SENSEI) n’est pas encore arrivé, on peut s’échauffer, s’entraîner entre camarades, mais dès qu’il monte sur le tapis, tout le monde doit être en place selon l’ordre établi, en SEIZA.

« SEIZA » – S’asseoir correctement – est la posture d’attente, de repos dans un DOJO. On fléchit d’abord le genou gauche, que l’on met à terre, puis le droit, enfin on s’assied entre les talons.

Encore une fois ici, référence est faite à l’art guerrier du sabre : la SAYA (fourreau) reposait du côté gauche, il importait donc de garder la jambe droite disponible le plus longtemps possible, pour pouvoir faire face et dégainer en cas d’attaque soudaine.

Cette même raison fait que pour se lever, comme pour tirer le sabre du fourreau, on dégage d’abord la jambe droite, les orteils du pied gauche prenant simultanément appui sur le soi, prêts à donner l’élan. On se lève, le pied gauche est alors ramené vers l’avant, au niveau du droit. On utilise deux sortes de saluts

« ZAREI » – salut assis – en SEIZA, la main gauche d’abord (le sens du sabre toujours !) puis la droite sont portées au sol ; les mains sont posées en face des genoux. On s’incline, sans courber le dos, ni décoller les fessiers des talons, profondément (mais pas le front à terre) pour un professeur, un ancien, un peu moins profondément devant un camarade (vigilance !).

Dans un sens moins combatif, il est aussi admis que les deux mains soient posées au soi en même temps.

« RITSUREI » – salut debout – les pieds joints, les mains le long des cuisses, on incline le buste sans courber la nuque, ni fléchir les genoux.

Il ne s’agit ni de s’humilier (donc de s’aplatir), ni de rendre un culte (qui serait déplacé) – Les saluts doivent être un signe de courtoisie sincère.

« ZAREI » se fait pour saluer :

a) le KIMAZA et le professeur au début, à la fin des cours

b) le professeur quand on est appelé comme UKE ou quand il vient de montrer une technique à l’ensemble des élèves

c) parfois aussi, pour saluer le KAMIZA, lorsque avec l’autorisation de l’enseignant, on monte en retard sur le TATAMI.

Dépouillée de sens religieux, elle est l’occasion de prendre conscience de sa propre posture, de l’état de sa respiration, de faire le vide tout en s’ouvrant à ce qui va venir : on vide une tasse pleine si l’on veut pouvoir y verser de l’eau fraîche.

On se met en accord avec le DOJO.

Pendant le MOKUSO, on contrôle son attitude : assis entre les talons, sur les ischions ; la colonne vertébrale est corrigée par une « poussée » judicieuse au niveau de la 5ème lombaire ; le menton est rentré, étirant la nuque, tête droite – Les épaules tombent naturellement, les bras légèrement décollés du tronc (« un œuf sous chaque aisselle » !) – Les mains sont jointes dans le giron, extrémités des pouces se touchant, doigts gauches sur les doigts droits (comme dans ZAZEN), au bien pouces et index dessinant deux anneaux croisés – Le HARA (ventre) reste souple, la respiration libre et profonde – Les yeux sont mi-clos, le regard porte à environ 1,50 m devant soi.

Cette attitude correctement prise est très belle : droite sans raideur, vigilante, sans tension, elle nous vient directement du ZEN et permet une forme d’éveil à soi et aux autres.

Le professeur se tourne vers le KAMIZA, que l’on salue tous ensemble, au signal: « REI », on salue deux fois puis l’on frappe deux fois dans les mains. L’enseignant s’étant retourné, on salue une nouvelle fois, en disant : « ONEGAI SHIMASU » (invitation à travailler ensemble). Le cours commence, ponctué des saluts courtois de chacun, parfois accompagnés d’un « merci » – ARIGATO – chuchoté.

A la fin du cours, nouvelle méditation, nouveau salut du KAMIZA, et dernier salut accompagné de « DOMO ARIGATO GOZAIMASHITA » – on remercie très profondément.

L’ETIQUETTE EN GENERAL

Par ailleurs, outre la façon dont elle rythme les cours, on retrouve l’étiquette dans le vêtement, le rituel du sabre, l’attitude générale envers le DOJO.

Pour l’entraînement, on porte un GI « prononcer « gui ») – ou KEIKOGI – blanc, dont on croise toujours le pan gauche par-dessus le droit, que l’on soit garçon ou fille. Au japon, au moment du décès, on croise le KIMONO du défunt, côté droit au-dessus – un GI croisé de cette façon serait donc une incongruité dépourvue de sens, voire profondément choquante.

La ceinture – OBI – blanche ou noire est attachée par un nœud plat, les deux extrémités égales retombant systématiquement.

Les anciens arborent un HAKAMA – généralement noir ou bleu foncé – sorte de large jupe culotte, portant sur le devant cinq plis apparents qui symbolisent les cinq éléments du TAO l’eau, le vent, le feu, la terre et le bois.

Tous ces vêtements doivent être nets, propres et en bon état, cela fait partie du respect élémentaire de soi et des autres.

Les pratiquants utilisent des armes  JO – BOKKEN – TANTO – TAMBO et les traitent avec le même soin que leur tenue  bien qu’elles soient en bois, elles représentent les armes traditionnelles des BUSHI, instruments de vie et de mort.

En ce qui concerne le sabre, il y aurait beaucoup à dire puisque c’était « l’âme du Samouraï », son bien le plus précieux, l’objet chargé du plus de symbolisme. L’étiquette du KATANA remplirait un vaste chapitre…

Nous ne traiterons donc que des généralités touchant au BOKKEN, représentant pour nous le KATANA, et qui peuvent être étendues aux autres armes utilisées.

On ne pose pas son BOKKEN n’importe comment, n’importe où, on ne marche pas, on ne s’appuie pas dessus ; l’enjamber était considéré comme un manquement grave à l’étiquette.

Lorsque l’on tend son BOKKEN à un camarade, comme lorsque l’on donne un sabre, on ne regarde pas ailleurs, on le tient à deux mains, on s’incline légèrement, de même qu’en le recevant (autrefois, quand on avait l’honneur ou la chance d’être invité à examiner la lame d’un KATANA, on poussait même le raffinement jusqu’à placer devant sa bouche un linge spécial, pour éviter que l’haleine souille l’acier – On veillait sur sa lame comme sur son âme !).

L’observance des nombreux détails du cérémonial imprime une atmosphère particulière au DOJO – le KIMOCHI (« où souffle l’esprit »).

Chacun y a sa place, son rôle dans la hiérarchie où il progresse ; les anciens donnent le ton ; leur dynamisme lorsqu’ils sont appelés à servir d’UKE, leur politesse, leur tenue, la sincérité, l’enthousiasme de leur attitude seront contagieux.

Il leur appartiendra peut-être de guider de nouveaux venus, parmi des habitudes différentes de celles du quotidien, de veiller à l’organisation du nettoyage du TATAMI (la propreté est la première politesse envers les autres utilisateurs de la salle ) au port des ZOORI entre vestiaires et tapis, à leur rangement en ordre au bord du TATAMI.

Leurs rapports avec le professeur encourageront celui-ci qui n’hésitera pas, se sentant soutenu, à signaler ce qui doit l’être, à répéter autant que nécessaire.