Le ShakuHachi

SHAKUHACHI

LA VOIE DU BAMBOU

Le shakuhachi est un des instruments les plus populaires au Japon. Son histoire fait intégralement et exclusivement partie de la tradition japonaise même si, phénomène récent,

sa renommée grandit au point d’être joué dans de nombreux autres pays.

L’intérêt des occidentaux est tel que nombre d’entre eux s’attellent à son étude au point d’en devenir musicien professionnel.

On estime qu’environ deux mille occidentaux apprennent leshakuhachi aujourd’hui et qu’environ trois cents ont obtenu le titre de maître.
Instrument à vent, le shakuhachi, aussi appelé « flûte de bambou », est « une lourde flûte verticale à faible encoche, faite d’un épais et vigoureux bambou à plusieurs nœuds dont l’intérieur est laqué.

La longueur normale du tuyau est de 54,5 cm. » C’est d’ailleurs de sa taille que provient son nom : « shaku » qui équivaut à un pied japonais et « hachi », à huit pouces.
Cette flûte connaît néanmoins différentes tailles et le son diffère en fonction de celles-ci : plus l’instrument est petit, plus le son sera clair, brillant et pénétrant ; plus l’instrument est long, plus le son sera chaud.

Malgré sa facture, qui apparaît d’une simplicité remarquable, il est difficile à maîtriser, développant des possibilités comparables au ney.
Il comporte une grande richesse de timbres et permet un large éventail d’effets.
Le son produit est tout à fait caractéristique. « Le timbre est exceptionnellement moelleux avec un grave très ample; le registre élevé, en revanche, se révèle plus fragile.

» D’une douceur incomparable, on comprend pourquoi il a été pendant plusieurs siècles, un support de méditation.

Les instruments à vent sont considérés comme les plus anciens de l’histoire de la musique. Leur origine se situe à l’âge de la pierre.
Il est évidemment impossible de remonter l’histoire jusqu’à cette époque pour déterminer la provenance du shakuhachi , mais plusieurs pistes semblent indiquer qu’il a été introduit au Japon il y a plus de mille ans. L’instrument proviendrait d’une flûte chinoise, nommée hsia. D’aucuns supposent que l’ancêtre du shakuhachi aurait cheminé à partir de l’Égypte, parcourant la route de la soie, passant par l’Iran et l’Inde, avant d’arriver en Chine.
Les échanges diplomatiques et culturels entre le continent chinois et le Japon étant courants, on peut penser que cette flûte fut introduite au Japon - on parle tantôt du VIe, tantôt du VIIIe siècle - avec d’autres instruments de musique et qu’ils étaient destinés à être joués lors de représentations à la Cour.
Le shakuhachi, dont la forme de l’époque était bien différente de celle que l’on connaît aujourd’hui, faisait alors partie de l’orchestre gagaku. Ce genre, qui subsiste encore aujourd’hui, est une musique de divertissement qui peut être dansée.
Cet instrument a d’ailleurs été supprimé lors de la chute de l’empire et de la réforme musicale qui s’ensuivit au IXe siècle.
Mais, heureusement pour nous, son histoire ne s’arrête pas là.
C’est encore par le biais de la Chine que cette flûte réapparaît au Japon.
Cette fois, le contexte est tout à fait différent. Un moine, descendant de l’école Fuke de Chine (branche du bouddhisme zen), réintroduit le shakuhachi au Japon en même temps que l’école et sa philosophie font leur entrée dans le pays. Le grand maître Hottô arrive au Japon dans le courant du XIIIe siècle. Il emporte dans ses bagages, non pas le shakuhachi tel qu’on le connaît actuellement, mais une longue flûte fine qui s’apparente à la flûte chinoise Xiao.
Le shakuhachi réapparaît donc au Japon, non plus comme instrument de cour, mais comme instrument religieux.
L’histoire du shakuhachi s’obscurcit lors de l’ère Edo (1615 - 1868) où se mêlent samouraïs, moines et méditation zen.


COMMENCONS PAR LES SAMOURAÏS


L’arrivée au pouvoir des Tokugawa (naissance de l’ère Edo) ne fut pas une excellente nouvelle pour tout le monde : suite à la défaite de leur clan, nombre de samouraïs ont perdu leur rôle - celui-ci consistant à défendre leur clan. Ils étaient alors sans maître et devenaient des ronins, des samouraïs errants.
Ces samouraïs sans fonction ont alors intégré l’ordre bouddhiste et sont devenus des moines.
Ces moines-guerriers appelés Komusô (moines du vide) étaient des moines itinérants.
Il faut souligner une de leurs particularités : ils portaient de larges paniers sur leur tête pour symboliser leur détachement spirituel du monde.
Le gouvernement Tokugawa désirait contrôler cette masse de ronins, susceptibles de chercher à assouvir leur vengeance et sauver l’honneur de leur clan défait, il a donc décidé de mobiliser ces énergies positivement. Ces moines furent alors regroupés autour de temples, ce qui provoqua la naissance officielle de l’ordre de la secte bouddhiste zen Fuke.
Les moines Komusô jouèrent un rôle important dans le maintien de l’ordre établi.
Ils devinrent les espions du gouvernement et jouissaient de nombreux privilèges : ils étaient libres notamment de passer les différents points de contrôle sans entrave.
C’est à ce moment-là que le shakuhachi acquit sa forme définitive, non pas pour des motifs esthétiques, contrairement à ce que l’on pourrait croire, mais pour des raisons bien plus pragmatiques.
On pense en effet que ces moines-guerriers, ne pouvant plus porter d’épée, ont fabriqué leurs flûtes dans un bambou très épais et dur pour se protéger, leur permettant d’avoir une solide massue à portée de main. Leshakuhachi était donc à la fois un instrument de musique et une arme défensive.
À l’époque, seuls les moines étaient autorisés à en jouer. C’est d’ailleurs de cette manière que ces mendiants demandaient l’aumône.
Le shakuhachi était donc strictement réservé à un usage religieux. Les non-religieux pouvaient jouer d’un instrument semblable, nommé hitoyogiri, qui va être supplanté par le shakuhachi.
On ne peut d’ailleurs pas dire à proprement parler que le shakuhachi était un instrument de musique.
Il était en effet lié à la pratique de la méditation. La secte Fuke prétendait appliquer la doctrine du bouddhisme zen dans le domaine musical. Le shakuhachi était joué en solo (un duo pouvait survenir exceptionnellement) et le souffle de la flûte était considéré comme une voie menant à l’illumination. Un terme indiquait le fait de jouer au shakuhachi : suizen. Littéralement, cela veut dire : « souffler le zen ».
Des expressions comme « ichio jobutsu » (atteindre l’éveil par un seul son) ou « chikuzen ichinyo » (le bambou - c’est-à-dire la flûte - et le zen ne font qu’un); le fait que l’instrument soit appelé zenki ou sengu, c’est-à-dire outil du zen, permettent d’un peu mieux comprendre l’importance qu’il avait pour ces moines.
Les komusô jouaient donc au shakuhachi au lieu de réciter les chants sutra et les règles de jeu en étaient strictes. Elles constituaient une voie par laquelle obtenir le contrôle de soi et l’illumination spirituelle.
La musique de ce répertoire de méditation, créé par les moines de la secte Fuke, fut appelée « honkyoku ». C’est un répertoire qui sera organisé et systématisé par la suite et qui deviendra le répertoire classique par excellence pour le shakuhachi.
L’enseignement était strictement interne. La tradition voulait que l’héritier d’une école transmette les arcanes de son héritage à un ou deux disciples afin que l’enseignement ne disparaisse pas. Ces disciples étaient à leur tour chargés de transmettre l’héritage.
L’enseignement de base était destiné aux membres de la secte et l’enseignement fondamental à quelques initiés seulement.
C’est ainsi que la tradition continua à se transmettre jusqu’à nos jours.


DE L’ÈRE EDO…

Une des particularités de l’école Fuke était son hétéroclisme. En effet, il existait plus de cent-vingt temples au Japon à l’époque et chaque temple avait son propre répertoire. Les différents temples situés dans les différentes provinces du Japon ont transmis des pièces de nom identique mais de contenu souvent différent. Les raisons en sont simples : afin de préserver les arcanes, les pièces n’étaient souvent transmises que partiellement aux moines venus d’autres temples. De plus, il n’existait pas jusqu’à récemment, de partitions écrites et la mémoire peut être capricieuse.
L’école principale à cette époque était celle de Kinko. Créée pendant l’ère Edo, elle est fondée par Kinko Kurosawa au XVIIIe siècle. Il rassemble différentes pièces des différents temples pour constituer un corpus. Il met de l’ordre dans le répertoire, toujours central actuellement, en fixant la forme musicale de trente-six morceaux. Cette première systématisation va connaître de nombreux développements et de nouvelles compositions de différentes écoles vont être intégrées dans le répertoire classique. C’est ainsi que, petit à petit, le honkyoku, de répertoire de méditation va devenir musique d’art.

… JUSQU’À NOS JOURS

Mais l’histoire du shakuhachi ne s’arrête pas là. Elle va au contraire encore connaître quelques développements majeurs.
Le gouvernement Tokugawa fut renversé en 1861. Cet événement marqua la fin de l’ère Edo et le début de l’ère Meiji (1868 -…). Le nouveau gouvernement établit un décret en 1871 qui abolit la secte Fuke en raison de son implication et de son rôle actif dans le gouvernement précédent. Beaucoup de temples furent détruits ou démantelés.
Dans le même mouvement, le shakuhachi ne fut plus réservé aux moines de la secte. Tout le monde dès lors avait la possibilité d’en jouer.
Le shakuhachi perdit donc son caractère religieux et tomba dans le domaine profane.
Contre toute attente, il ne disparut pas, mais sa popularité augmenta pendant toute l’ère Meiji.
C’est ainsi qu’à côté du répertoire classique honkyoku pour shakuhachi joué en solo, le shakuhachi va être joué dans d’autres styles de musique. On peut d’ores et déjà parler de l’ensemble instrumental sankyoku (musique de chambre). Ce style est devenu populaire au milieu de la période Edo, mais ce n’est qu’après le début de la période Meiji que le shakuhachi a fait partie de cet ensemble.
Ce dernier comprend, outre la flûte en bambou, deux autres instruments : le koto (cithare) et le shamisen(luth). Sankyoku veut dire « musique à trois ». Ce style est devenu un des plus populaires au Japon.
Les écoles se sont également développées, et ont enrichi, chacune à leur façon, le répertoire du shakuhachi.
Nous avons déjà parlé de l’école Kinko. Celle-ci ne s’est pas contentée de travailler sur le répertoire honkyoku, elle a également développé le répertoire gaikyoku, partie jouée par le shakuhachi dans le sankyoku.
Une autre école importante, quoique plus tardive, est l’école Tozan. Celle-ci n’a incorporé aucune pièce classique. Son répertoire est principalement constitué de compositions du fondateur de l’école : Nakao Tozan et des membres de cette école. Celle-ci a contribué à moderniser le répertoire du shakuhachi dans tous ses aspects, notamment en composant des pièces qui ne sont plus destinées à un shakuhachi seul. C’est ainsi que le shakuhachi a pu se rapprocher de genres musicaux occidentaux (jazz, pop…) et être un instrument qu’on retrouve actuellement dans de nombreux styles musicaux.