Fabricant traditionnel d’armes en bois au Japon

Article extrait su journal SESERAGI de février 2008

Visite chez NIDOME BOKUTO SEISAKUJO

Fabricant traditionnel d’armes en bois au Japon

Nous sommes allés à la rencontre d’une des quatre entreprises artisanales reconnues officiellement dans le Japon pour la fabrication des armes en bois (Bokuto = Bokken ; Jo…) : « NIDOME BOKUTO SEISAKUJO »

NIDOME est le nom de l’artisan qui nous a reçus dans son atelier. Il porte le titre de « Dento kogeishi » : Il a été sélectionné par « Dento kogeihin sangyo sinkokyoukai » (association créée par l’Etat, nommé par le ministre de l’économie afin de préserver et protéger les spécialistes et artisans de la tradition japonaise).

Nous vous livrons une grande partie de l’interview que nous avons menée et avons apporté un grand soin à ce que la traduction soit la plus proche possible des réponses apportées. Nous tenions bien sûr à exprimer notre gratitude et notre profond respect à la famille NIDOME, qui nous a reçus chaleureusement en toute simplicité, et espérons ainsi témoigner aux lecteurs qu’il existe encore des artisans passionnés par leur travail qui perpétuent, dans la tradition, la culture japonaise.

NIDOME BOKUTO SEISAKUJO

90% de la production de Yumi (arc japonais), 90% de bokuto (bokken), les shinaï (armes utilisées en Kendo), ainsi que les armoires d’intérieur sont fabriqués à Kyushu. Dans le sud de Kyushu se trouve une petite ville : « Miyakonojo ». Miyakonojo est la ville où l’on fabrique les bokuto (bokken).

Les montagnes du sud de kyushu renferment des forêts de chênes, néfliers, sunuké (ysu / racemosum). La terre de cette région convient parfaitement à la culture de ces arbres. Yoshiaki NIDOME est spécialiste des armes en bois ; son père Kojiro NIDOME s’est installé à Miyakonojo après la deuxième guerre mondiale, il a tout perdu, comme tous ses compatriotes japonais. Kojiro NIDOME cherchait un métier dans lequel il puisse exercer sa passion pour les arbres, pour le travail du bois.

Dans les années 40, il crée avec sa femme une entreprise artisanale spécialisée dans la fabrication des armes en bois. A cette époque, il n’y avait pas de machines automatiques, tout se faisait à la main.

Après la guerre, le Japon connaissait une période de croissance très rapide. L’entreprise prit un essor important, les ventes étaient considérables. Mais avec le temps, les japonais pratiquaient de moins en moins les arts martiaux, les ventes diminuaient de saison en saison.

En 1960, à Miyakonojo il y avait 25 entreprises, aujourd’hui, il n’en reste plus que 4. Chez NIDOME (Père) ses 2 fils lui ont succédé ; bientôt le fils aîné de Yoshiaki travaillera avec eux.

Comment l’entreprise a-t-elle pu subsister à ce jour ?

La famille NIDOME, en plus de la fabrique de bokuto, possédait des champs de culture (riz, légumes…) ce qui lui a permis d’avoir des revenus complémentaires et de subvenir à ses besoins. Contrairement à d’autres qui n’ont pu continuer leur activité artisanale, faute de clients.

Pourquoi utilise-t-on ces arbres (chêne, néflier, sunuké, kobutan) pour la fabrication des bokuto ?

Le chêne est dur, solide, résiste bien aux contraintes physiques. Il existe en réalité plusieurs variétés de chênes ; celui de la région du sud Kyushu présente toute les qualités. Le chêne classique présente des fibres bien serrées, dans l’eau il ne flotte pas. Le chêne du sud de Kyushu est plutôt dur, mais il flotte. Le chêne rouge est un peu plus léger que le blanc.

Le Biwa (nèfle) est plutôt doux, solide et présente une belle surface. On dit que lorsqu’on est frappé par un bokuto en Biwa, on ne sent rien, mais après quelques jours la blessure apparaît. Les Budoka aiment bien relater cette histoire.

Le sunuké (racemosum) est dur et résiste bien à l’ humidité. Le sunuké est issu d’un arbre appelé Isu (Yusu). La partie centrale de cette arbre se nomme : Sunuké ; il est doux mais solide, chaque endroit n’est pas de la même couleur.

Le kokutan (ébène) est très dur, lourd et solide. Cet arbre pousse lentement.

Pour pouvoir couper ces arbres, combien faut-il patienter ?

Pour le chêne, il faut attendre 70-80ans, pour les sunuké, kokutan (ébène) et biwa (nèfle), il faut attendre plus de 200 ans.

Quand on achète le bois, il est entier (le tronc).On ne peut pas savoir au départ si le tronc est abîmé à l’intérieur (rongé ou non par les insectes). On ne peut utiliser que les parties qui ne sont pas altérées (par exemple, si le bois est altéré au milieu, on utilisera la partie du haut pour un Tanto, le bas pour un Chuto).

Comment fabrique-t-on un bokuto ?

D’abord, on achète le bois sous forme de tronc, ensuite, il est coupé en tranches par un spécialiste en coupe : un Seizaisho. Le bois est ensuite séché pendant 1 an à l’air libre.

Quand le bois est sec, on dessine sur celui-ci des crayon sur le bois, en se servant d’un bokuto en puis on réalise la découpe. On utilise une autre machine pour couper en épaisseur, ensuite une autre machine coupe l’extrémité en forme de pointe. Cette machine peut servir à façonner différentes armes.

Puis, on utilise un appareil pour façonner les Ha (« tranchant » du bokken) ; à partir de là, tout le travail de rabotage va être réalisé à la main. Chaque Rabot n’a pas le même angle ni la même courbure : plus de 20 rabots sont utilisés.

Le bokken est fixé grâce à un système permettant de le raboter dans toutes les directions. Ce dispositif de fixation est unique et a été inventé il y a 50 ans ici même dans les ateliers de Miyakonojo. Depuis qu’il est utilisé, il est facile de travailler la courbure du Ha (« tranchant » du bokken).

Après avoir effectué les différentes opérations de rabotage, la finition se fait au papier de verre fin.

Pourquoi certains bokuto se tordent-ils avec le temps ?

Tous les arbres contiennent de l’eau, ainsi les bois servant à la fabrication des bokuto en contiennent aussi ; il faut donc les sécher. L’humidité sera ainsi éliminée. A noter que l’humidité est plus importante en bas des arbres. D’autre part, l’arbre n’est pas exposé au soleil sur toutes ces surfaces. Sur un côté, il y a le soleil et sur l’autre l’ombre (à l’ombre, il y aura plus d’humidité).

Après avoir coupé le bois, on le laisse sécher plus d’un an, mais tous les bois seront différents de par leur taux d’humidité. S’il est humide, avec le temps, il va se tordre. S’il est sec, il restera droit.

Pour bien conserver le bokuto et éviter ainsi l’humidité et la saleté, le bokuto sera protégé par

du papier plastique. Aujourd’hui on trouve des entreprises qui utilisent des machines pour sécher les armes en bois. (Durée de séchage : environ 15 jours).

Avec la machine, on peut gagner du temps et garder moins de stock ; mais le bois sera plus fragile que le bois séché naturellement. Si on sèche artificiellement, les fibres du bois se raccourcissent et le bois « meurt » . En enlevant l’humidité rapidement, le bois absorbera l’humidité rapidement et se cassera plus facilement. Les bois séchés naturellement à l’air libre seront toujours « vivants » et leur durée de vie sera très longue.

Doit-on jeter les bokuto qui sont tordus ?

Non. On peut les réparer avec la chaleur. Regardez (Il nous en fait la démonstration) : le résultat est spectaculaire, le bokuto a retrouvé sa droiture.

bokuto, à l’aide d’un guise de « patron »,

Doit-on mettre de l’huile (ex : huile de camélia) pour protéger le bokuto ?

Non, ça ne sert à rien. Il y a des Budoka (pratiquants d’arts martiaux japonais) qui aiment mettre de l’huile, mais uniquement pour la beauté !!

Après quelques années, l’huile sera absorbée par le bokuto. Rien ne vaut la pellicule de graisse naturelle que l’on a sur les mains pour « huiler » son bokuto ou son jo !

Comment doit-on conserver son bokuto ?, Doit-on le mettre debout ou couché ?

Il vaut mieux le mettre couché, car la température varie de haut en bas (couché, la température est identique sur toute la longueur).

Il ne reste plus que 4 fournisseurs à Miyakonojo. Est-ce qu’au final les bokuto ou jo sont différents ?

Oui, chaque maison dispose de son propre savoir- faire. Le sori (la courbure du bokuto) est différente. Chez nous, le sori est un peu bas : Koshi-zori, mais chez un autre fabricant le sori est au milieu : Naka-zori ; chez un autre encore, le zori est en haut : Saki-zori. Peut-être que les gens ont du mal à faire la différence, mais je peux distinguer les bokuto des 4 fabricants.

Vos bokuto ont-ils une caractéristique particulière ?

On fabrique en fonction du cahier des charges du client. Nous fabriquons aussi des bokuto « sur mesure », à l’unité, en fonction d’une demande particulière pour un client. Normalement, le fournisseur n’aime pas fabriquer de bokuto personnel, parce qu’il faut plus de temps que pour une fabrication en série.

Les autres fournisseurs nous envoient les clients qui souhaitent une commande sur mesure. Nous essayons d’être souples. Les délais sont un peu plus longs, mais au moins votre bokuto est fabriqué selon vos souhaits.

Quand il y avait plus de 20 entreprises, nous étions concurrents, mais comme on n’est plus que 4, nous nous entendons bien.

Quelle étape est la plus difficile pour la fabrication ?

Cela fait plus 30 ans que je fais ce métier, aujourd’hui, ce n’est pas trop difficile, mais je fais attention aux choses que l’on ne voit pas. Le sori (la courbure du bokuto) est une partie du bokuto que les gens ne regardent pas trop… J’aime que la finition soit parfaite.

Craignez-vous les bokuto de fabrication chinoise ?

Pour l’instant non. En ce moment, le bokuto chinois est de qualité moyenne. Les bokuto se trouvent dans les boutiques de souvenirs. Ils n’ont aucune valeur. Par exemple, au Kendo, presque tous les Shinai et Bogu sont

fabriqués en Chine. Ils sont moins chers. Les techniques de fabrication ont évolué. Parce qu’au Japon, on ne peut pas former de jeunes apprentis, il ne reste que des vieux.

J’ai peur qu’un visiteur vienne comme vous me demander de lui faire visiter mon atelier, et parte ensuite fabriquer des bokuto en Chine. Cela s’est passé de cette façon pour l’équipement de kendo.

Votre fils prendra-t-il la suite de l’entreprise familiale ?

Je ne veux pas forcer mon fils. A l’époque, je n’avais pas le choix, Je devais travailler avec mon père et lui succéder. J’ai dit à mon fils : c’est à toi de choisir ton métier. Il veut travailler avec moi pour pouvoir prendre la suite. Il est encore jeune. Il travaille ailleurs pour apprendre. Quand on est jeune, il faut regarder ailleurs.Plus tard, il travaillera avec nous. ■

Jean-Gabriel BRANDO LigueduLyonnais